La Braderie de Lille

Le plus grand évènement circulaire, on en parle avec Julien Pilette

15/09/2025
Article rédigé par Claire L’HOSTIS.
Interview conduite par François-Michel LAMBERT.

Julien Pilette est adjoint au maire de la ville de Lille. Il est notamment en charge de la mise en œuvre de la stratégie économie circulaire pour la ville de Lille.

À l’occasion de la Braderie de Lille 2025, nous sommes partis à la rencontre de l’élu municipal en ce premier week-end ensoleillé de septembre. Avant de vous proposer un épisode “Empreinte Matières” sur la Braderie de Lille, retrouvez ici des extraits de l’interview de Julien Pilette.

Dès 2007 déjà, Julien Pilette créé une entreprise de l’économie circulaire, Gecco, qui a pour but de collecter les huiles de friture usées afin de les transformer en biodiésel, notamment pour les bus de la ville. Il est également à l’origine de la branche française de l’association World Clean Up Day, un évènement annuel de collecte de déchets dans l’espace public.

La Braderie de Lille est le “plus grand évènement d’économie circulaire d’Europe” avec chaque année 2,5 millions à 3 millions de visiteur⸱euse⸱s accueilli⸱e⸱s dans l’eurométropole Lilloise.

Une de ses plus célèbres traditions, le tas de moule ! Chaque années, particuliers comme commerces, peuvent participer au concours du plus grand tas de moule. Chaque commerce versera fièrement ses moules sur le trottoir, en espérant être celui qui en amassera le plus. Sur la place Rihour, on retrouve un tas de coquilles de moules commun aux restaurants de la place. Parmi eux, La Chicorée, Aux Moules de Lille, Le Barbier qui Fume…

La ville de Lille a décidé de valoriser ses tonnes de coquilles de moules, comme un symbole d’une politique ambitieuse d’économie circulaire. Elle a ainsi commandé 10 bancs fabriqués à partir de coquilles de moules récupérées lors de la Braderie 2024. Julien Pilette nous raconte les détails de la fabrication, et nous en dit plus sur la Grande Braderie de Lille !

La Braderie de Lille

La première Braderie de Lille… remonte a près de mille ans. Selon le site de la ville de Lille, les premières traces écrites de la Braderie remontent à l’an 1127.

À l’époque, la noblesse laissait ses domestiques vendre les objets dont elle ne se servait plus. Ces kilomètres de trottoir, dédiés à la vente d’occasion, permettent depuis des siècles aux personnes les plus pauvres de renflouer les caisses. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que la Braderie a toujours lieu au moment de la rentrée scolaire.

Lille a traversé les pays et les époques, mais la tradition perdure. Après la seconde guerre mondiale, pendant les trente glorieuses, sa popularité baisse. Il faut toujours consommer plus, et que tout soit neuf. C’est dans les années 1970, avec les grands mouvements à tendences écologiques de la décennie, que la Braderie revient en force.

Ce que rappelle Julien Pilette dans l’interview, c’est que malgré la pauvreté du département du Nord, l’argent reste largement secondaire. Demandez à un⸱e Lillois⸱e ce que lui évoque la Braderie, et vous obtiendrez des éloges sur le mouvement social qu’elle représente. Les étudiant⸱e⸱s fraîchement arrivé⸱e⸱s dans la ville peuvent trouver tout le mobilier, vaisselle, accessoires nécessaires. A la gare St Sauveur, les enfants de la ville font leur propre braderie. Les habitant⸱e⸱s de Wazemmes vont se procurer leur nouveau fidèle destrier le samedi matin sur la place du marché qui s’improvise le temps d’une matinée marché aux vélos. Les gens sont souriants, il y a des airs de bonheur à chaque coin de rue. Le soleil est toujours au rendez-vous.

Le point commun avec toutes ces personnes, au-delà d’un sens très aiguisé de la négociation, c’est qu’elles finissent toutes par manger… des moules frites (ou bière frites pour les végans et végétariens) !

Valorisation des invendus alimentaires de la Braderie de Lille

Être une moule pendant la Braderie… Vous n’auriez pas eu la côte avant le XVème siècle. Une épidémie se répand sur le nord-ouest de l’Europe. Plus de volaille. Alors, pour pallier le problème, on importera désormais des moules venues de Zélande, non loin de Rotterdam, à moins de 2 heures de route de Lille. Par chance, les Ch’tis ont pu retrouver leur poulet maroilles quelques années plus tard. Mais c’est acté, les moules deviennent l’icône de la Braderie. Plus de 400 tonnes en sont consommées chaque année sur la période du week-end.

Malheureusement, toutes ne finissent pas dans l’assiette d’un⸱e heureux⸱se bradeux⸱se. Alors, certains restaurants, notamment ceux de la place Rihour, organisent un repas solidaire qui se tient le lendemain de la Braderie. Les restaurateur⸱rice⸱s mettent à disposition leur personnel, ainsi environ 1000 portions de moules frites sont distribuées aux familles défavorisées.

Et une fois que le gaspillage a été diminué, il ne reste que plus que les coquilles. En 2024, la ville de Lille trouve une manière de les recycler.

La création des bancs

En se baladant à Lille, plus particulièrement près de l’Hôtel de Ville, on aperçoit des bancs Centaure à l’armature grise, ou noire selon la lumière. Si on s’en approche, on y remarque une plaque ; ce banc a été réalisé avec les coquilles de moules recyclées de la Braderie 2024.

L’objectif des bancs, ce n’est pas “simplement de recycler les coquilles de moules pour en faire des bancs.” En effet, on ne vous apprends rien si on vous dit que l’extrême majorité des bancs dans le monde ne sont pas faits en coquilles de moules recyclées… Il faut apporter une plus-value, sinon l’acte est vain. Alors, il faut étudier les caractéristiques des coquilles de moules. Voir avec quelles combinaisons de matériaux on obtient les propriétés les plus intéressantes. C’est ce que Julien a fait pendant plus d’un an. Il a même effectué lui-même un contrôle qualité très pointu... Par ailleurs, en cas de dégradation ; graffiti, sticker… la surface se ponce facilement, sans laisser de traces visibles. Leur durabilité et facilité d’entretien aplatit toute concurrence venant de leurs homologues en bois.

Quand on se penche un peu plus sur le sujet, on apprend que seulement 4 tonnes de coquilles de moules sont recyclées, sur les quelques 200 qui gisent dans les rues en fin de Braderie, ce qui ne représente qu’une petite fraction. Sachant les bancs sont composés à 86% de matières recyclées.

Alors non, ce ne sont pas les bancs en coquilles de moules qui vont sauver notre planète. Mais ils envoient un message fort. Ils sont un véritable symbole d’économie circulaire en France. Les générations de Lillois⸱e⸱s qui, en passant devant leur mairie, verront ces bancs, seront inspiré⸱e⸱s. Elles pourront venir les voir, les toucher, s’asseoir dessus… Et comprendre que les déchets ne sont pas, plus, une fin. Ici, ce n’est pas tant le recyclage qui nous intéresse. Il s’agit d’une innovation faisant appel à la créativité, poussée par un besoin de valorisation d’un déchet très local dont Lille dispose en très grande quantité.

 

Sources : Julien Pilette, Ville de Lille (lille.fr), La Voix du Nord (lavoixdunord.fr)
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